Fondée à la fin du XIXesiècle en Gironde Lillet deviendra mondialement connue et son apéritif à base de vins girondins, de quinquina et de zestes d’agrumes, va conquérir l’Amérique.
1887: deux frères de Podensac créent le Kina-Lillet
La maison Lillet est créée en 1872 par deux frères: Paul et Raymond Lillet. C’est à Podensac en Gironde, où ils sont nés, qu’ils fondent leur entreprise. Ils se lancent dans diverses activités: confiseurs-liquoristes, fabrique de limonade gazeuse, entrepôt de vins fins, eau-de-vie, cognac, armagnac, absinthe…
«Le goûter, c’est le préférer».
Dans les années 1880, la mode est aux vins toniques (des préparations médicinales destinées à accroître la vitalité et à faciliter la digestion). C’est sur cette base que les deux frères vont officiellement lancer le Kina-Lillet en 1887, quand le retour à une production vinicole abondante permet d’oublier la crise du phylloxéra. Alors que le vin tonique est à l’époque essentiellement composé avec du vin rouge, les frères Lillet ont l’idée d’utiliser les vins blancs du...
Fondée à la fin du XIXesiècle en Gironde Lillet deviendra mondialement connue et son apéritif à base de vins girondins, de quinquina et de zestes d’agrumes, va conquérir l’Amérique.
1887: deux frères de Podensac créent le Kina-Lillet
La maison Lillet est créée en 1872 par deux frères: Paul et Raymond Lillet. C’est à Podensac en Gironde, où ils sont nés, qu’ils fondent leur entreprise. Ils se lancent dans diverses activités: confiseurs-liquoristes, fabrique de limonade gazeuse, entrepôt de vins fins, eau-de-vie, cognac, armagnac, absinthe…
«Le goûter, c’est le préférer».
Dans les années 1880, la mode est aux vins toniques (des préparations médicinales destinées à accroître la vitalité et à faciliter la digestion). C’est sur cette base que les deux frères vont officiellement lancer le Kina-Lillet en 1887, quand le retour à une production vinicole abondante permet d’oublier la crise du phylloxéra. Alors que le vin tonique est à l’époque essentiellement composé avec du vin rouge, les frères Lillet ont l’idée d’utiliser les vins blancs du «Sauternais». À ce vin blanc, ils rajoutent (entre autres) de la quinine, l’écorce d’un arbre d’Amérique latine, le quinquina, qui donnera le raccourci de la boisson: «Kina».
Il s’agit de la toute première marque déposée par la maison Lillet, qui fait l’objet d’une promotion publicitaire: «Le goûter, c’est le préférer». Le succès est immédiat.
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Durant la Première guerre mondiale, Lillet connaît une première crise de ses ventes, liée à la pénurie de main-d’œuvre et aussi à la désorganisation des transports, notamment du chemin de fer. La gare est souvent fermée. Si le trafic est rétabli, le Lillet, considéré comme produit de luxe, peut se voir interdire l’accès aux trains. L’entreprise qui ne peut envoyer l’apéritif partout où elle le désire, recentre ses clients sur Bordeaux et ses environs, mais sa proximité géographique avec la Garonne est un atout qui lui permet de continuer à exporter par bateau à Bordeaux, Toulouse, Nantes ou encore Le Havre. Les caisses sont ensuite expédiées à l’étranger, à condition toutefois que le bateau ne soit pas torpillé dans l’Atlantique…
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Gros succès à l’international pour cet alcool du sud de la Gironde, créé il y a 132 ans : la production est passée, de 2013 à 2020, d’un à neuf million de bouteilles par an.
Lillet, reine de la réclame
Dans les années 1920 et 1930, la maison Lillet, en plein boom, développe ses supports publicitaires tous azimuts: affiches papier, affiches sportives, tableaux, murs peints - surtout sur les routes du Sud-Ouest -, plaques dans les autobus, décalcomanies sur les tramways de différentes villes, blocs éphémérides, thermomètres, sous-mains, crayons, tapis, tire-bouchons, éventails, répertoires téléphoniques, carafes, couteaux, boîtes à jouer, pochettes, serviettes… Et bien sûr, encarts publicitaires dans la presse, dont «La Petite Gironde», l’ancêtre de «Sud Ouest». À une époque où l’on ignorait le mot de sponsor, Lillet, avant-gardiste, patronnait des matches de basket, de foot ou de rugby, et fournissait le matériel d’affichage pour les compétitions. Jusqu’aux urinoirs bordelais qui rappelaient les vertus fortifiantes et toniques du produit…
Grâce aux murs peint, notamment, la marque voit sa diffusion s’étendre au sud d’une ligne partant de la baie du Mont-Saint-Michel jusqu’au delta du Rhône, dans le Sud-Est. Les volumes de vente atteignent 800000 litres en 1936. Mais la marque, à l’image populaire et plutôt rurale, ne parvient pas à conquérir le marché parisien et à s’imposer dans la capitale face à Byrrh, Dubonnet ou Saint-Raphaël.
1939: la fin de l’âge d'or du Lillet
L’âge d'or du Lillet prend fin à la veille de la Seconde guerre mondiale. En 1938, les ventes frisaient le million. En 1939, le marché s’effondre. Après-guerre, à partir de 1955, les affaires sont toujours difficiles pour l’apéritif girondin. Concurrencé par le pastis, la bière ou encore le whisky, le Lillet qui connaît des difficultés de fabrication doit aussi faire face aux grandes mutations de la distribution. Le déclin des débitants traditionnels relègue son marché aux campagnes du grand Sud-Ouest. Ce qui ne l’empêche pas de cultiver en même temps une image de standing, associée aux épiceries fines et aux repas gastronomiques.
Le marché américain sauve la marque
Lillet souffre aussi de la disparition du marché colonial, toutefois compensée par l’expansion des ventes aux Royaume-Uni, dès les années 1950, puis aux États-Unis, à partir des années 1970. La marque avait joué la carte du marché américain en croyant que c’était ce qui allait la sauver, parce qu’elle n’avait pas les moyens de faire de la publicité pour se maintenir en France. Bien vu. Elle bénéficie outre-Atlantique d’importants investissem*nts promotionnels, avec de la réclame, comme on disait alors, sur les ondes et à la télévision, et compense sur le marché américain l’insuffisance des volumes écoulés en France.
1985: une nouvelle jeunesse avec le rachat par Bruno Borie
«Un vin d’apéritif plutôt qu’un apéritif à base de vin»
La stratégie lancée outre-Atlantique est relayée en France à partir de 1985 par Bruno Borie. Son père, Jean-Eugène Borie, propriétaire du château Ducru Beaucaillou, à Saint-Julien, avait fait l’expérience du paradoxe de l’apéritif girondin, ultra-tendance outre-Atlantique - les Américains raffinés en absorbaient, dans les années 80, plus de 500000 bouteilles par an -, mais méconnu sur ses terres natales.
Il y a une vingtaine d’années, aux États-Unis, j’ai bu du Lillet pour la première fois. Je n’en avais jamais bu à Bordeaux,
confiait-il dans «Sud Ouest» le 13avril 1986.
Le nouveau dirigeant modernise l’appareil productif en vue de produire «un vin d’apéritif plutôt qu’un apéritif à base de vin». À ses côtés, sur quatre-vingts descendants. (environ), un seul, Christophe, poursuit la tradition. Bruno Borie parvient à rajeunir la marque en la recentrant sur ses fondamentaux originels: l’univers des vins fins et l'«authenticité» du Sud atlantique.
L’effet James Bond
Après vingt ans de succès, cette stratégie se voit couronnée par l’apparition de l’apéritif girondin sur les écrans mondiaux dans le cru 2006 des aventures de 007, «Casino Royale». Un formidable coup de pub, gratuit et mondial offert à l’apéritif de Bordeaux par le plus célèbre espion au service de sa Majesté, en commandant un co*cktail au Lillet, dont il donne précisément la recette:
Trois mesures de Booth’s, une de vodka, une mesure de Kina Lillet. Passez au shaker jusqu’à ce que ce soit bien frappé et ajoutez alors un zeste de citron.
Un retour aux sources: en 1953, l’apéritif girondin avait connu son heure de gloire en faisant une apparition remarquée dans le roman éponyme de Yann Fleming. À cette époque, la première ambassadrice de Lillet en Angleterre n’était autre que la duch*esse de Windsor, qui se faisait précéder d’une caisse de l’apéritif girondin dans tous les palaces où elle descendait!
Cinquante ans après, l’impact de «Casino Royale» ne se fait en tout cas pas attendre.
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«Le film est sorti dans d’autres pays avant la France et nous recevons de nombreux mails des États-Unis, mais aussi de Grèce ou de Bahreïn et de Turquie, que nous ne démarchons pas habituellement», se réjouissait alors le chef d’entreprise. «À Londres, où nous étions en perte de vitesse, le bar Dorchester, où se retrouvent les mannequins, vient de mettre le co*cktail sur sa carte», se félicitait-il.
2008: le rachat par Pernod Ricard et l’explosion des ventes
Malgré un nombre limité de salariés directs, la marque renoue avec ses records historiques de production. La maison est ensuite rachetée en 2008 par le groupe Pernod Ricard, le distributeur de la marque depuis 2005. La force de frappe du géant en termes de commercialisation et de marketing contribue à remettre à la mode l’apéritif régional, moins sucré et moins alcoolisé (17 degrés) que d’autres boissons.
«Vous prendrez bien un verre de Lillet?»
À133 ans, ses plus gros marchés sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et les États-Unis. La production est passée, de 2013 à 2020, d’un à neuf million de bouteilles par an. Le Lillet rosé a été créé en 2011. Mais c’est le Lillet blanc qui est de loin le plus acheté: 70% des ventes, contre 25% pour le rosé et 5% pour le rouge, créé en 1962. Historiquement consommée pour ou sur glace, la marque est devenue un classique dans le monde du co*cktail. Outre le Lillet-Vesper qui faisait les délices de James Bond en 2006, les recettes à base de Lillet sont nombreuses. Celle du Lillet-Spritz connaît un succès fou en Allemagne et en Autriche.
2022: Lillet fête ses 150ans
L’histoire de la Maison Lillet reste une aventure à taille humaine. La société Lillet Frères est restée une petite entreprise, avec une équipe de moins de quinze personnes, attentive à chaque détail et entièrement tournée vers la recherche du goût. Aujourd’hui, Lillet écoule plus de douze millions de bouteilles par an et continue à se réinventer, en cultivant une approche responsable dans ses sources d’approvisionnement et ses méthodes de production.
Dans le souci de limiter son empreinte carbone, 100% des fruits utilisés pour les infusions sont compostés à moins de trente kilomètres de la Maison. Tous les fûts de chêne utilisés pour la macération sont exclusivement produits en France et issus des forêts listées à l’Office national des Forêts.
Enfin, depuis 2018, Lillet privilégie l’économie locale, et s’évertue à ne collaborer qu’avec des partenaires locaux, en favorisant ceux qui s’engagent dans des démarches respectueuses de l’environnement, tout en réduisant les émissions de CO2 et la consommation d’eau et d’énergie.
S’il est vintage, l’incontournable apéritif traditionnel bordelais n’a décidément rien de désuet.
